Bonjour à tous,
Hier je n'avais pas vu vos commentaires, il faut dire que j'étais légèrement fatigué et les yeux encore étoilés... en tout cas merci à tous d'avoir été à mes côtés, merci !
Oui Chantal, dis-moi en quoi je peux t'être utile...
Je vais donc essayer de vous faire vivre la course de l'intérieur, pas facile, y'a tellement de choses à dire...
Prologue
Mardi 9h45, arrivée à l'aéroport de St-Denis, après une nuit difficile dans l'avion... très peu dormi. L'aéroport est petit, ça va changer du gigantisme d'Orly. Dès la salle de récupération des bagages, on sent l'ambiance testostérone. Mais qui vois-je là ? Monsieur Sébastien Folin en personne, qui doit comprendre que je suis un raideur à la simple vue de mes chaussures ! Une petite interview sur le ton de l'humour est entamée, et puis il m'apprend quelques mots de créole, qui me serviront tout au long du raid. Super, cet imprévu donne le ton ! Les bagages récupérés, on passe dans le hall de l'aéroport, et là, Monsieur Chicaud (le président de la Diagonale) accueille en personnes les raideurs, pour les inviter à un pot d'accueil. Le ton est donné : ici c'est la chaleur de l'accueil avant la chaleur du soleil !
Mercredi après midi, à partir de 15h, c'est la récupération des dossards. 2500 personnes qui font la queue dans un stade ! Mais quelle file il faut prendre ? Ça part dans tous les sens, ça serpente, il y a plusieurs files qui vont à gauche, d'autres qui vont à droite. Je finis par comprendre qu'il y en a pour distribuer les dossards, par rangée de 100 (du 1 au 100, du 101 au 200...) ; et puis il y a ce serpentin qui rempli le reste du stade et qui permet d'accéder aux stand et aux cadeaux... Quelle organisation ! Là on voit que c'est du sérieux. Ça y est j'ai mon dossard et mon bracelet électronique, je touche enfin du doigt le départ de la course. Je rentre pour essayer de me reposer encore un peu, il va y en avoir besoin, car la nuit d'avion a laissé des traces, j'ai mal aux jambes et je suis fatigué.
Acte 1 : le départ Jeudi la journée est exclusivement pour le départ, même si le gong retentira à 22h, il faut fignoler les derniers détails d'équipement, m'assurer que mon sac n'est pas trop chargé, passer encore 1, voire 2 couches de pommade anti-échauffement, finir de charger les piles, la batterie de l'appareil photo, le mp3... Puis boucler les sacs à déposer aux bases-vie ; préparer le gâteau sport et les pâtes à manger en fin d'après midi. Essayer de faire une sieste en début d'après midi... Mission impossible, trop énervé !
Milieu d'après-midi : il faut prendre la route, car ça bouchonne à Cap Méchant, pour accéder au stade du départ. 20h, j'accède à la zone, pour déposer mes sacs et faire contrôler mon camel-back ; vu le nombre qu'on est ça peut faire peur. En fait, ça semble fluide ! Il y a un sas qui laisse rentrer par vagues. Là je vois des pointures, comme Nicolas Darmaillac, S. Chaigneau, et Dawa Sherpa ! Youpi, au moins une fois pendant la course j'aurai pu être à leur niveau... Plus tard je ne verrai même plus leurs talons ! Le contrôle des sacs est rigoureux, il faut 2 bandes strap, un sifflet, couverture réserve d'eau et nourriture, coupe vent... Tout est ok, j'entre enfin dans l'aire de départ, un stade de castine et graviers. Ici et là des coureurs sont allongés à même le sol pour finir de se reposer. Au fond il y a un podium avec des animations musicales ; quelqu'un de bien averti m'a dit qu'il faut se mettre à proximité car c'est par là que le départ est donné (non pas que je veuille me mettre dans les premiers car je ne suivrai pas, mais au moins être bien placé car dès le départ il y a une grosse côte difficulté où ça bouchonne, donc il vaux mieux ne pas être trop loin derrière). Je m'approche donc, et je profite des animations, très sympathiques d'ailleurs ! Les coureurs s'accumulent, autour, derrière, ça se resserre, ça commence à "tasser"... La tension monte!
Et puis subitement un mouvement de foule nous presse tous vers l'avant ; ça y est on est comme des sardines ! une chanson plus tard (le refrain sonne "ils vont beaucoup courir, les raideurs, ils vont beaucoup marcher, les raideurs, ils vont beaucoup en chier, les raideurs" !). Un premier coup de feu annonce le départ, pas le temps d'attendre le 3eme, dès le 2eme les raideurs se pressent vers l'avant. YOUPI ! Même pas besoin de marcher, on est porté par la foule qui presse, j'ai l'impression de voler ! Incroyable impression! Heureusement les pieds qui portent le portique sont protégés par une mousse !
Et puis le public amassé sur les murs, les toits, les trottoirs ! Et tout du long de la traversée de la ville, sur au moins 2 km ! Superbe départ ! Malheureusement pour moi, même bien placé je vois les raideurs me dépasser, par dizaines, par centaines ! Mais impossible d'accélérer, les jambes ne répondent pas ! Que se passe-t-il ? Suis-je trop chargé ?
Acte 2 : la côte du volcan
(altitude : de 98 m à 2350 m - ce qui fait 2252 m de dénivelé d'une traite)
Après quelques centaines de mètres de piste où j'avance à train réduit (je commence à avoir peur de revoir surgir ma fatigue du mois dernier), on s'enfonce dans une foret typique. Le sentier se resserre, et ça commence à monter sévère. Les quelques 2700 coureurs qui ont pris le départ se sont étirés longuement pendant les 4 km précédents, mais il y en a beaucoup derrière et surtout beaucoup devant... Ça n'avance pas vite (ça m'arrange car j'ai pas de jambes), même parfois... souvent on s'arrête... Pourquoi ça bouchonne ? On perd du temps... Mais il faut dire que le sentier alterne entre marches naturelles parfois plus haute que ma taille, racines ou troncs à enjamber. Des passages d'escalades où il faut poser les mains pour s'aider. La pente est raide.
Un bruit... Que dis-je, un grondement se fait de plus en plus clair au fur et à mesure qu'on avance... Mais serait-ce l'éruption ? Oui, plus j'y pense et plus ça à l'air d'y ressembler. Des grondements sourds et parfois comme une explosion.
Enfin on sort de ce sentier, ça s'éclaircit et on peut voir une auréole rougeâtre dans le brouillard naissant... Ça doit être la lave... La forêt s'est éclaircie et a laissé la place au vent, et maintenant il fait très froid (3°C). Le haut chaud et le coupe-vent épais ne sont pas suffisants ! Je suis frigorifié, et les mains gelées ! Je pense alors à ceux qui sont partis léger (manche courte et K-way). Les buissons permettent aux raideurs déjà fatigués de s'assoir ou s'allonger... Ici, en pleine nuit, on voit des gens allongés sur le bord du sentier pour dormir !
Encore quelques minutes et on s'approche du sommet, le tracé nous rapproche de l'auréole.... Oui on va voir l'éruption. Ça y est : je découvre pour la première fois ce spectacle ! Pendant quelques centaines de mètres on peut poursuivre notre route tout en voyant la lave couler en plusieurs rivières telle une pieuvre étendrait ses tentacules, et puis surtout, un petit puits qui crache par petites explosions régulières... Trop beau ! Nous avons de la chance de pouvoir profiter de ce spectacle !
Le sentier continue sa trace au travers de buissons devenus rares mais à leur proximité, un parfum se dégage... Ça ressemble à du thym... Je ne saurais pas dire.... Au loin, on voit un point lumineux... Ouf ce doit être le ravito. Enfin ! J'accélère le pas pour limiter ces minutes passées dans le froid. Au pointage, on m'annonce ma place (je suis agréablement surpris : 1266eme alors que je croyais avoir perdu beaucoup au début) et surtout qu'on a déjà fait 30km... enfin déjà... ça fait 7h11 qu'on est parti... mais je n'ai pas vu le temps passer. Ça me remonte le moral.
Acte 3 : Plaine des Sables L'annonce du km et du classement m'a mis un électrochoc, je décide alors de partir à la conquête de quelques places, en ne perdant pas de temps au ravito. Et puis il fait tellement froid que je ne peux pas rester inactif. J'ai du mal à bouger mes doigts ! Alors le vent sur la transpiration... frigorifiant ! Je prend quand même à manger et à boire (surprise agréable, le ravito est bien fourni et bon, ça fait plaisir). Je repars rapidement, en trottinant. Tiens ! Sur le plat ça va, je me sens bien... Je dépasse quelques coureurs, sans toutefois faire trop d'effort. Je me contiens car je sais que la route est encore longue. J'essaie de maintenir un rythme régulier... Ça a l'air de marcher.
Je traverse la plaine (un endroit désertique, lunaire, à la lueur de la pleine lune et du jour naissant... magnifique ! Et puis on arrive face à un mur... ils vont pas nous faire grimper ça ?
Si si, c'est possible... Même quand ça a l'air vertical, c'est possible. Derrière, première descente sérieuse... ouf mon terrain de prédilection. Je vais pouvoir en profiter pour gagner des places et récupérer un peu. Descente jusqu'au col de Bégourd, 54 km...
Acte 4 : le Piton des neiges (1500 m D+)
Avant même d'entamer l'ascension du PdN une portion nouvelle, Bellouve, alternant portions courtes ascendantes et montantes dans une forêt presque vierge, dense, magnifique mais de pratique délicate. D'autant plus qu'il a plu un peu et que la boue se fait notre ennemi sur les racines et les pierres qui jonchent le sol ! Ça n'avance pas, on est à la queue, pas facile de dépasser. Et le relief qui broie les jambes... on n'en voit plus le bout. Parfois la forêt s'éclaircit, on se dit ça y est c'est fini, parfois elle s'obscurcit et même obstrue la ciel tellement elle est dense !
Après cette portion qui laissera des traces dans tous les organismes, un petit passage sur le bitume... Ouf ! Même si c'est pas terrible je crois qu'on apprécie ce moment de répit ! J'essaie de trottiner à nouveau sur les portions de faux-plat mais je ressens un coup de moins bien.. Je bois et je mange un peu en espérant que ça va revenir et puis je relance. Une portion de descente également vers Hell-Bourg, j'apprécie !
Et puis il faut attaquer cette côte du Cap Anglais qui est décrite comme redoutable, surtout si on a laissé des forces à Bellouve. Allez, le moral est là donc ça va passer !
A l'attaque ! Déjà le ton est donné, sentier très technique, étroit, très raide, des pierres, des racines des marches...
Et la pluie qui s'invite ! Une bonne averse... Aïe ! Ça devient glissant et dangereux, parfois les passages d'escalades sont difficiles à franchir. Heureusement j'ai choisi la bonne paire de chaussures. Elles ont un peu de grip, et puis le poncho me gène pour les franchissements. Heureusement l'averse ne dure pas trop longtemps, mais le mal est fait, il va falloir resté concentré jusqu'en haut. L'ascension est longue, mais vers le haut la nature change et devient moins extrême ! Le sentier reprend un peu forme, je sais que le dernier quart de la côte est moins difficile, ce doit être ça... Ouf ! Les jambes souffrent, on avance tous au petit pas ! On continue de franchir tous ces cailloux, mais on ne voit pas le bout de col !
La configuration change à nouveau, la forêt s'éclaircit, mais il reste encore à monter. Ça veut dire que la portion d'avant n'était pas celle que je croyais... J'espère que c'est celle-ci !
Et puis subitement au loin on aperçoit ce qui ressemble à un gîte, ce doit être le gîte du Piton des Neiges ! J'accélère comme boosté par l'odeur de l'avoine ! Je dépasse quelques concurrents histoire de gagner quelques places... pour la forme... et pour la motivation. Attention toutefois de ne pas trébucher sur les rochers, parfois instables, parfois glissants ! Allez je mets un dernier coup d'accélérateur et je rejoins le gîte.
766ème !!! Ouahhh, je n'avais pas l'impression d'avoir dépassé tant de personnes ! Alors là c'est l'excitation. J'entrevois la possibilité de taquiner les 500emes... Inespéré ! Je me ravitaille rapidement, je me déleste de mes gels utilisés et de mon poncho trempé et terreux. Je resserre mon sac et c'est parti pour une descente vers Cilaos ! Je vais en profiter pour essayer de gagner des places dans la portion qui m'est favorable. Il est presque 19h et j'aimerais bien faire la descente de jour, alors je me presse !
La descente est technique (je me répète ?), des marches naturelles, des marches faites avec des contreforts en bois calés par des pieux en ferrailles ou en bois qui dépassent (attention de ne pas butter le pied sinon c'est la chue assurée !), des racines, de la terre poudreuse... Un parfait cocktail pour glisser, se tordre une cheville... J'essaie de rester concentré tout en dépassant les concurrents que je parviens à rejoindre. Je remercie tous ceux qui se serrent à l'écoute de mes pas pressants lorsque j'arrive à leur niveau, et je fonce. Je coupe à la corde, parfois sur des rochers étroits, je saute de rocher en rocher plutôt que de chercher des points d'appui "terriens" improbables dans ces sentiers, je sens mes plante de pieds qui chauffent à chaque réception.
Dans les lacets qui descendent vers Cilaos, je peux voir parfois le prochain concurrent un peu plus bas, alors j'accélère comme aspiré par ses pas ! Ça marche, j'ai l'impression de gagner pas mal de places, j'ai conscience des risques que je prends mais à la fois je suis tout excité. J'espère simplement que je ne vais pas payer cet effort ! Sorti des sentiers, une portion de route pour rejoindre le stade, pas marrant pour les pieds, et puis ça casse le rythme, alors j'essaie de relancer un peu, au petit trot. On voit le stade au loin, quelques personnes dans les rues pour nous applaudir, ça réchauffe !
Acte 5 : Cilaos
Première base-vie. J'arrive juste avant la tombée de la nuit. Bonne surprise, ma tactique de la descente fonctionne, 642eme je suis content pourvu que ça continue ! Je voulais juste manger, mais le temps de changer de chaussette, de récupérer mon sac et de le rendre, petite pose technique, les toilettes que je ne trouve pas, un appel téléphonique à la famille pour donner des nouvelles... 1h15... c'est trop long. J'ai perdu du temps. Je ne devais pas rester plus de 30 minutes. Mince ! Une partie de l'effort pour rien. Je me presse, mais trop... Dans l'empressement je ferme mal ma poche à eau, qui se vide dans mon sac... Youpi ! Je vais avoir le dos au frais ! quel c... !
Je repars donc avec mon coupe-vent enroulé à la taille pour éviter de garder l'humidité sur les reins, même si je n'aime pas être équipé ainsi. De toute façon la côte qui nous attend va me réchauffer, vue le mur qui nous tend les bras et qu'on distingue dans la nuit éclairée d'une magnifique pleine lune ! On voit tout là-haut les frontales qui serpentent. Ils ont bien de la chance ceux-là d'être déjà presque en haut !
Acte 6 : le Taïbit Avant l'ascension proprement dite, un petit détour par le fond de vallée au bord de la cascade. Mais pourquoi descendre quand il y a déjà tant à monter ! En effet, de Cilaos on voit le Taïbit, énorme ! Alors pourquoi en rajouter ? Pas bon pour le moral de s'éloigner ainsi du but avant d'y revenir... Mais bon, c'est le jeu alors on fonce vers cette cascade qui nous guide pas le ronronnement de l'eau qui raisonne entre les montagnes. Une fois rejoint le ruisseau qu'il faut traverser, on remonte. Ouille les guiboles ! Puis on redescend. NON ! ça va pas recommencer ! Et on remonte, et on redescend... J'ai l'impression de faire l'ascenseur ! Enfin une dernière remontée vers la route que nous avions quittée pour rejoindre la cascade, un ravito avant d'attaquer la Taïbit ! Je me presse comme pour essayer de regagner les places que j'ai dû perdre à Cilaos. Je demande ma place, surprise ! J'ai encore gagné des rangs : 517eme ! Beaucoup ont dû s'arrêter longuement à Cilaos. C'est tout bon pour moi, ce coup-ci, c'est sûr : rentrer dans les 500 premiers est à ma portée... sauf coup dur ! Je bois un café et un thé pour repousser le sommeil, j'ajuste le niveau d'eau du camel-back, et c'est reparti !
Acte 7 : 2eme nuit (800 m D+)
L'ascension est comme les précédentes, dure et technique. Et même si dans l'absolu elle est moins longue, après 97 km les jambes sont un peu lourdes, alors on trouve le temps long !
Je monte à un rythme régulier, je rejoins quelques coureurs, à chaque fois reboosté !
La portion descendante qui suit est l'occasion à nouveau de gagner quelques places : à Marla, 438eme ! Ça y est c'est fait, j'ai atteint mon objectif, il faut que je maintienne ! Encore du café, du thé et je vole vers le prochain ravito. J'ai l'impression d'avaler les sentiers, y'a quelques chose de pas normal, je vais sûrement payer plus tard !
Trois Roches puis Roche plate, 369eme. Alors là c'est carrément le pied, le rêve. A chaque annonce de classement, je prend comme une piqûre de boostant. Je repars comme anesthésié, pas de douleur insupportable (j'ai quand même des ampoules sous les plantes des pieds, 2 orteils qui ont tapé plusieurs fois, je sens l'ongle prêt à tomber, un genoux douloureux une tendinite probablement comme à mon habitude à cause du bassin qui se décale... Mais c'est comme si je ne sentais rien... Ahhhh l'endorphine ! Quel pied ! Et puis au ravito des Orangers, je "badge" et là... "JOYEUX ANNIVERSAIRE !" repris en coeur par les bénévoles et les coureurs présents... Ça fait chaud au coeur ! Et ma place, leur demande-je : 327 !!!! Non c'est incroyable... Je me prends à rêver d'un classement en dessous de 300. Oui 27 places ce doit être faisable. Allez je ne traîne pas. Je reprends un café, un thé pour lutter contre le sommeil, et je repars au trot !
Subitement, à 3 heures, je ressens un mal d'estomac et d'intestin... Aïe ! La tuile ! Alors que tout allait bien. Je me sens faible comme lors d'une gastro... Je n'ai plus de jambe, je vois mal la suite. je n'arrive plus à manger et à boire. Je décide d'attendre un peu avant de prendre une décision douloureuse, mais je ne peux plus avancer. Les larmes m'envahissent. Alors pour ne pas sombrer, je me raccroche à un couple qui n'avance pas très vite, ça me permet de maintenir un pied dans la course. Là le moral est touché je vois mon rêve partir en fumée ! Alors pour ne pas sombrer, je pense à ma fille et ma femme qui m'ont accompagné ici et m'ont soutenu dans ma prépa, et à JP qui m'a fait découvrir la course il y a 2 ans et qui je sais me suit de près sur cette aventure qu'il a lui même terminée, 496eme, en 2008.
Là les côtes comme les descentes sont un enfer, je cherche au loin la lueur du prochain ravito où je pourrai m'arrêter pour réfléchir, mais la nuit est désespérément noire ! J'ai pris 2 pastilles pour les problèmes intestinaux, alors je patiente, je patiente, j'espère que ça va faire effet...
Acte 8 : début de 2eme journée : Rivière des galets - Deux Bras, 127eme km
Arrivé au ravito, je titube, je fonce vers le point infirmerie, on m'aide à m'asseoir. Un traitement pour l'estomac, un gâteau de riz pour caler. Je pense avoir perdu pas mal de place, alors pour connaître les dégâts, je demande ma place : 298eme !!!!! Mais que se passe-t-il ? Probablement pas mal d'abandons ou des coureurs qui s'arrêtent pour dormir... C'est un coup de fouet ! Je me relève, en me disant qu'il ne reste que 35 km... Je repars doucement, mais motivé pour en finir. Je sais que la côte qui suit sera difficile pour moi, mais je m'accroche... 750m de D+.
Le jour se lève et la sortie du cirque est magnifique, par contre le ciel est dégagé, il va donc falloir faire avec la chaleur... pour moi un ennemi juré ! Mais j'ai encore quelques heures avant ce nouveau duel ! Ascension au rythme régulier, je prends quelques photos pour récupérer un peu et garder des souvenirs, et je garde en tête l'image de l'arrivée pour me tirer vers l'avant. Je me lance dans des calculs savants pour imaginer mon heure d'arrivée... Là où j'en suis, la distance qui reste, le profil qui reste, la chaleur qui arrive... trop d'inconnues pour cette équation. En haut, je fais le point au ravito, ça va un peu mieux et d'apercevoir l'océan et au loin La Possession me donne un peu le moral. Je remplis mon camel-back avec de l'eau uniquement, y'a plus que ça qui passe, et je me lance dans la descente vers La Possession, me disant que c'est la dernière ligne droite. Mais à chaque fois qu'on fait une descente avec le point d'arrivée en ligne de mire, c'est long, c'est très long.
Enfin entré dans la ville, une portion de virages sur bitume. Le stade ne doit pas être loin et pourtant je ne le vois toujours pas, alors je demande... "Ouh-la-la, c'est encore loin !"... et on prend un sentier dans la forêt qui nous éloigne de la bonne direction... Mince un détour ! Une "petite" côte supplémentaire. Tiens je ne l'avais pas remarquée sur le roadbook... mais je la sens bien passer... Aïe aïe aïe ! La descente vers le stade fait mal, je commence à ne plus aimer ce jeu !
Acte 9 : La Possession - Grande Chaloupe La chaleur s'est installée. Je souffre. J'ai horreur de la chaleur ! Je m'hydrate bien mais je surchauffe. Alors je me mouille je me mouille... mais dur dur ! Je suis obligé de m'arrêter à plusieurs reprises car j'ai la tête qui tourne. Et puis cette côte de galets est terrible en plein soleil.
Je croise des promeneurs qui me proposent de l'eau de leur réserve. Ouf ! Je n'en avais plus. Ça me pousse un peu plus loin. Je laisse filer des concurrents qui me dépassent. Mince ! Je perds des places... Allez, encore un peu de courage ! Je me répète "je suis un
warrior" comme pour essayer de me transcender... Mais là, le soleil c'est plus fort que moi.
Une petite descente me donne de l'air, en bas le ravito de Grande Chaloupe. J'arrive en titubant. Les bénévoles me tiennent par le bras le temps que je récupère l'équilibre. Je sens mes yeux qui commencent à rouler, je frôle le malaise... Vite de l'eau sur la tête ! Je me fais arroser copieusement et je repars à l'assaut. Je vais l'avoir ce raid ! Je prend quand même une bouteille auprès des bénévoles histoire d'avoir une réserve supplémentaire.
Acte final : Le Colorado - La Redoute
La dernière ascension et c'est la quille ! Mais le soleil me pique, je pars doucement. je m'arrose régulièrement mais l'eau devient chaude. Je croise des supporters de raiders qui m'aident à m'asseoir à l'abri de leur parasol, ça fait du bien. Ils m'offrent de l'eau fraiche, avec des glaçons. Hum que c'est bon ! Ils m'arrosent le cou et la tête, ça me remet les idées en place, je repars. Depuis quelques km je fais le yoyo avec quelques concurrents qui me dépassent et que je dépasse à mon tour. Alors je dois tenir !
Rejoignant un coureur à l'agonie, prêt à abandonner tellement il est vidé sous cette chaleur, je lui propose de mon eau sur la tête, qu'il accepte volontiers. "Allez, il ne reste que 10 km tu ne vas pas abandonner maintenant !"... et je lui colle une claque sur l'épaule comme pour lui provoquer une réaction d'adrénaline. Je repars. J'espère qu'il aura terminé ! Un peu plus loin, un autre coureur à la peine, sans eau non plus. Je l'arrose avec ma bouteille, il me remercie et on repart. Un peu plus loin, comme gêné d'avoir plus de réserve d'eau que lui, je lui laisse ma bouteille, pensant que le col est proche... pas si proche que ça en fait !
La dernière ascension semble interminable, mais on voit le Colorado au loin, on pense tirer tout droit... Et non ! Un petit détour par une forêt. Je suis vraiment épuisé. Mais ce sont les nerfs qui me tiennent. Je touche du doigt le rêve, je tire dans les réserves, je vois le Colorado se rapprocher. Ça y est, je reprends le trot. L'émotion m'envahit, je sais que le plus dur est fait, la descente sera une formalité... Attention à la blessure quand même !
Je m'arrête à peine au ravito, je veux rejoindre ceux qui m'ont distancé juste avant. Je prends juste le temps de ranger correctement mon sac pour qu'il ne me gène pas dans la descente. Et allez, c'est parti ! A l'assaut ! Les douleurs aux pieds sont aiguës, le genou me fait "couiner", mais je serre les dents, car je veux écourter le calvaire. Je rejoins un à un les raideurs qui m'avaient distancé, puis même 2 ou 3 nouveaux. Top ! Je gagne à nouveau des places !
Je commence à apercevoir le stade de La Redoute, là-bas, en bas ! Il parait si loin. La descente est très technique, voire dangereuse avec le niveau de fatigue, la pente est raide ! Ça tape dans les pieds et le genou, parfois je suis obligé de me retenir après les arbres tellement la pente est raide, parfois je dois poser les mains au sol pour descendre les marches
... et puis à force de lacets, enfin je rejoins la route. Je vérifie si j'ai toujours mon dossard, mon bracelet, je prépare mon appareil photo pour filmer l'entrée dans le stade. Ce qui m'envahit est intense, à ce moment tu ne sens plus rien, plus aucune douleur, juste un intense bonheur, de la joie, le plaisir d'être applaudi, d'être accueilli par la foule pour qui c'est la fête !
Je reprends le trot pour entrer dans le stade, le regard porté vers la ligne d'arrivée où doivent m'attendre ma femme et ma fille... Oui mes chéries je l'ai fait ! J'ai terminé ce raid ! Je franchis la ligne, on m'annonce ma place : 238eme (230eme au classement définitif) ! Je n'y crois pas, et puis les bénévoles se jettent autour de moi, me remettent la médaille, le tee-shirt "j'ai survécu", et puis... "JOYEUX ANNIVERSAIRE" repris en coeur !!!! C'est trop cette ambiance et le bonheur d'avoir fini après toutes ces souffrances font naître quelques larmes que la pudeur me fait contenir, mais c'est avec les yeux pleins de larmes et d'étoiles que j'embrasse ma femme et ma fille.
Merci à elles. Merci à JP qui m'a fait découvrir le trail et m'a donné des conseils. Merci à tous ceux qui m'en ont donnés.
Voilà je pense avoir été aussi précis et sincère que possible sur ce que j'ai vécu au travers de ce Grand Raid 2010. Une course très difficile, très technique, très exigeante, mais magnifique, hors du commun ! Et une organisation formidable ainsi qu'une population chaleureuse. Pas un moment on ne s'ennuie !
Mon seul regret sur cette course : avoir perdu bêtement plus de 3/4 d'heure à Cilaos. Et puis aussi d'avoir été malade la 2eme nuit (mais ça, ça fait partie de la course n'est-ce pas ?).
Epilogue A retenir : la beauté des images magnifiques qu'on peut voir à la télé est en fait inférieure à la réalité; on en prend plein les mirettes ! Et encore on manque des choses la nuit.
Jamais vu ailleurs : ici quand un raideur est fatigué, la nuit, il s'allonge en bord de sentier ou au milieu des buissons pour se protéger du vent. A même le sol pour dormir !!!
Ici l'expression "prendre un mur" épouse son sens littéral : les montagnes se dressent tel un mur, on se dit qu'on va la contourner parce que ce n'est pas possible de la monter... et il y a toujours un sentier qui invente une voie improbable pour gravir la verticale !
A féliciter : les bénévoles qui sont formidables et exemplaires (plus de bénévoles que de places disponibles), et puis la population qui fait de cet évènement une fête tout au long du parcours, à toute heure du jour et de la nuit, et qui se massent sur le bord des routes pour nous applaudir !
A imiter : les pompiers raid aventure, qui ont fait don d'eux-même pour faire vivre cette aventure à des enfants handicapés emmenés sur des joëlettes (voir vidéo n° 3). un vrai défi, une vrai performance de terminer cette course dans les temps, sur un terrain accidenté, en ayant une carriole à tirer, pousser ou porter... mais un total don de soi et une vraie leçon d'abnégation quand on voit le bonheur dans les yeux de ses enfants ! trop beau !
A respecter : le doyen (71 ans) qui termine la course juste dans les délais, accompagné du premier (Kilian Jornet). Respect pour cette leçon d'endurance, respect pour cette tradition qui nous rappelle que l'important est de participer.